Association Paris Kung-fu & Taï-Chi chuan

 
(Association loi 1901, affiliée à la FFWUSHU)

 

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Historique

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Vissicitudes de l’histoire [1]                                           

 

 

 

 

 

 

 

 

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La Chine fut l’un des berceaux de l’humanité. Le long du fleuve Houang-Ho et de ses affluents, incisant les riches plateaux lœssiques du Honan et du Hopei, apparurent les premiers foyers de civilisation. En se sédentarisant, les hommes établirent entre eux des rapports de force, à l’intérieur d’un même groupe (hiérarchisation) comme d’un groupe à l’autre (garantie d’indépendance ou de supériorité) ; tribus, clans, ethnies, sociétés, se développèrent et survécurent en faisant preuve de leur supériorité « physique » sur d’autres rivaux. Ceux qui ne le purent, disparurent, absorbés par les vainqueurs. Dure loi de l’histoire, où l’éclat proprement culturel d’une ethnie compte peu en regard des impératifs de la guerre, ce tourment éternel de l’homme. L’art militaire (Wu Teh) se développa donc très tôt en Chine, mais par nécessité plutôt que par goût : la culture chinoise a toujours considéré ce qui a trait aux armes et à la guerre comme des manifestations de barbarie dont l’individu civilisé n’avait que faire. Mais, comme il n’était pas possible de s’en passer tout à fait, la culture chinoise « civilisa » la chose guerrière, pour l’ériger très vite en art... D’où le raffinement extrême de l’art martial chinois, pris sur le plan individuel, qui, tout imprégné des lois naturelles qui régissent les êtres et les choses de la Création, et respectant l’enseignement fondamental du Taoïsme et du Bouddhisme, respire le naturel et le bon sens. Ainsi le Kung-Fu, au-delà de la brutalité des actions dont la finalité ne saurait être mise en doute, se présente-t-il comme une véritable « poésie du combat » ; ses techniques, souvent mortelles , sont imprégnées de lyrisme (ainsi cette technique de coup de poing : « la mante religieuse qui attrape la cigale » ; ce coup de la main : « la belle femme regardant le miroir » ; ce coup de pied « du lotus » ; ce déplacement : « disposer les étoiles », etc.). L’observation attentive du royaume animal et du monde végétal et minéral fut une source d’inspiration unique pour le Kung-Fu. Pouvait-il en résulter méthode de combat plus naturelle ? Plus véridique ? Plus éprouvée et, partant, plus efficace ?

Mais, comme tout ce qui fait notre admiration dans la civilisation chinoise plusieurs fois millénaire, le Kung-Fu ne s’est pas fait en un jour, révélé par un génie, un sage dans le secret des dieux, ou un ermite descendu de sa montagne après avoir eu la révélation de l’art au cours d’un songe providentiel. Ceci, c’est la légende. L’histoire authentique, pour autant qu’il soit possible de procéder par recoupements des archives (rares) ou des traditions orales ayant cours dans les divers styles de Kung-Fu, est autrement plus complexe.

Mais elle prouve aussi, de par son ancienneté même, que la Chine fut la véritable « mère » des arts martiaux et que des techniques colportées par le Japon à travers le monde entier, telles le Karaté, le Judo ou le Ju-Jitsu, n’en sont que des descendants lointains. Là comme en tant d’autres domaines la Chine fut l’initiatrice du monde [2]
LES LÉGENDES DE LA PÉRIODE ARCHAÏQUE

 

 

LES PREMIERS TÂTONNEMENTS :

 

C’est vers 2600 avant J.-C qu’apparaît la première mention d’une technique de combat ; l’Empereur Houang Ti prétend en effet avoir pu vaincre alors son ennemi au cours d’une grande bataille grâce au Chiou Ti (ou Chiao Ti). Mais rien ne permet de dire encore qu’il s’agissait d’une technique individuelle de combat, dûment codifiée. Vers la même époque apparaît le Go Ti, en usage dans l’entourage du seigneur Chi Yu qui y entraînait ses soldats ; il s’agissait en fait d’une technique de lutte assez primitive dont le seul but était de chercher à embrocher l’adversaire à l’aide de cornes que l’on portait sur le casque !

Plus près de l’ère chrétienne, à l’époque des Royaumes Combattants, apparaissent les traces d’une technique individuelle de combat nettement plus élaborée et plus codifiée, sous des vocables divers : Shang Pu, Shou Pu, P’ai Chang, Shuai Go.

A l’époque de Lao Tzeu, père du Taoïsme, et de Confucius, au VIe siècle avant J.-C, l’aristocratie guerrière et certaines communautés religieuses, en fait l’élite sociale d’alors, pratiquaient des techniques de combat déjà profondément marquées par les pratiques médiatives taoïstes ; on trouve alors les noms de Chi Chi San, de Chi Ni, de Wu Ni. Avec ces techniques apparaît, pour la première fois, l’orientation classique du Kung-Fu : des techniques de boxe imprégnées de conceptions philosophiques à base taoïste, combinaisons d’une préoccupation à la fois physique (protection) et spirituelle (élévation) de l’homme.

C’est au premier ou au second siècle après J.-C, sous la dynastie des Han de l’Est, qu’apparaît Kwok Yee, auquel on attribue le premier style de combat véritablement rationnel et codifié sous forme de méthode, « l’art de la longue main », dont on ne connaît plus cependant aucune caractéristique technique.

 

 

HUA TO, ET L’APPORT DE LA MEDECINE

 

La tradition évoque un médecin célèbre, ayant vécu à la charnière des iie et iiie siècles après J.-C. : Hua To. Celui-ci développa la technique dite « des cinq animaux » (Wa Kin Hi), directement inspirée de l’observation des mouvements du tigre, du cerf, de l’ours, du singe et de la grue. Personne ne peut dire s’il s’agissait d’authentiques techniques destinées au combat à main nue, et sans doute Hua To n’a-t-il créé et transmis que quelques mouvements de gymnastique médicinale, à but essentiellement thérapeutique. Mais peut-être peut-on remonter jusqu’à Hua To pour trouver les racines des premières techniques de style « interne » (Nei Chia), telles le Pakua ou le Tai Chi. Hua To fut d’ailleurs souvent imité par la suite par d’autres créateurs de systèmes de Kung-Fu, qui s’inspirèrent, pour leurs gestes de combat, d’autres animaux, tels le cheval, le rat, la mante religieuse, l’hirondelle, le serpent, etc. [3]
MOINES, ERMITES ET GUERRIERS DE L’ÉPOQUE CLASSIQUE

 

 

BODHIDHARMA ET L’INFLUENCE BOUDDHIQUE

 

Tout pratiquant d’arts martiaux orientaux a dû entendre parler du Shaolin (en langage mandarin. Il devient Sil Lum en chinois cantonais, et Shorinji en japonais). Il s’agit d’un monastère construit à l’aube du vie siècle après J.C., sous l’Empereur Hsiao Wen, dans la province du Honan, le pays du Fleuve Jaune. Histoire ou légende, ce lieu se retrouve toujours au centre des dévelop¬pements du Kung-Fu.

Un jour vint à passer un moine venu de l’Inde méridionale, du nom de Da Mo, surnommé Bodhidharma (l’« illuminé »), et appelé Daruma Taishi par les historiens japonais d’arts martiaux et de la pensée chinoise. Car Da Mo fut d’abord un maître à penser, apportant avec lui l’enseignement du Bouddhisme du Mahayana (doctrine du Grand Véhicule), fortement teinté de pratiques ascé¬tiques proches du Yoga. Da Mo est considéré comme l’initiateur d’un nouveau courant du Bouddhisme, le Chan (Zen, en japonais). On dit qu’il s’abîma à Shaolin dans une méditation qui dura neuf ans, à l’issue de laquelle il débou¬cha sur une nouvelle connaissance du monde. Le Chan influença par la suite très profondément les arts martiaux, dans lesquels les premiers moines qui suivirent l’exemple de Da Mo virent surtout, à l’instar de leur maître, un moyen de progression sur la Voie (Tao, ou Do en japonais) menant à l’union du corps et de l’esprit. Car Da Mo, le Sage, laissa également à Shaolin des éléments de techniques de combat, ancêtres du Kung-Fu actuel ; ce furent les « 18 mains de Lo Han » (ou les « 18 Arhats ») : Shih Pa Lo Han Sho (ou I Chin Ching). Peut-être ne s’agissait-il que d’une adaptation personnelle des connaissances que le Sage pouvait avoir du « Vajramukti », cette technique de maniement d’armes connue de la caste guerrière indienne, et qu’il développa à Shaolin essentiellement pour renforcer la santé défaillante des moines ? Certains histo¬riens avancent le chiffre de douze mouvements. Ne s’agissait-il que d’une gymnastique d’entretien ? C’est possible. Da Mo rejoint alors Hua To, l’aspect spirituel (Chan) en plus. Mais il est à peu près certain que dans l’enseigne¬ment « martial » de Da Mo, l’essentiel fut tout de même, comme pour Hua To, la partie « interne » des techniques (concentration, respiration, travail de la force interne du corps, par opposition à la force musculaire) et que l’aspect pratique de ces techniques n’apparut que bien plus tard [4].

 

 

CHAN SAN-FENG, ET L’INFLUENCE TAOÏSTE

 

Chan San-feng (ou Cheng Salm-fung) était un ermite taoïste vivant au XIIIe siècle dans la province du Hopei, sur la montagne Wu Tang. Rien ne le prédisposait à étudier les arts martiaux. Un jour cependant sa méditation fut troublée par un spectacle insolite : le combat entre un oiseau et un serpent. Après une furieuse mêlée le reptile réussit à fatiguer le fougueux volatile par ses esquives et ses mouvements tout en rondeur, puis put se mettre à l’abri.

 

Ce fut une révélation pour Chan San-feng, celle de la supériorité absolue de la forme souple, où tout est rondeur et harmonie. La puissance et la vitesse pures ne sont rien devant l’art de la souplesse et de l’évasion. Riche de cette découverte, l’ermite créa le style de combat Mu Tong Pai, ancêtre du Tai Chi Chuan. Alors que le message technique de Bodhidharma reflétait l’enseignement bouddhique Chan (recherche du « troisième œil » par l’union corps-esprit), celui de Chan San-Feng est imprégné de la philosophie taoïste (l’efficacité ne peut s’obtenir qu’en se conformant aux règles de la nature) ; les deux se rejoignent cependant en privilégiant la recherche « interne » dans la technique martiale ; ce sont, plus sûrement encore que Hua To, les véritables initiateurs des styles du Nei Chia. Avec leurs recherches, et celles des disciples directement formés par eux, on touche au cœur de l’art martial antique : la voie ésotérique, bien souvent complètement perdue dans le Kung-Fu d’aujourd’hui.CHUEH YUAN ET LE RENOUVEAU DU SHAOLIN

 

Entre 1200 et 1368, sous les Yuan, les terribles invasions mongoles apportent des éléments nouveaux aux techniques de combat connues jusqu’alors en Chine. Il en résulte le Lung Hua Chuan (prises) et le Ch’in Na (clés de bras), ancêtres du Ju-Jitsu japonais. Ce transfert se fit sans que l’histoire en ait conservé des souvenirs précis. Il faut passer à la seconde moitié du XVIe siècle pour retrouver une trace précise dans l’histoire du Kung-Fu : celle de Chueh Yuan (ou Kwok Yuen), un jeune moine de Shaolin. Sa passion pour les arts martiaux et sa ferveur pour le souvenir du Saint Da Mo, sauvèrent le vieux monastère d’un laisser-aller coupable. Rien, en effet, ne rappelait plus alors la grandeur de l’époque des premiers disciples de Bodhidharma. Progressant avec force sur la « voie » apportée par le moine indien, le jeune homme compila de lui-même, dans un premier temps, les vieilles techniques de Kung-Fu encore à peu près connues (et augmentées de techniques mongoles ?), dix siècles après la disparition du célèbre patriarche. Il en trouva 72. Mais, toujours insatisfait, Chueh Yuan décida d’al¬ler chercher ailleurs de quoi étoffer ces vestiges, afin de régénérer la puis¬sance proverbiale, réputation hélas surfaite, du Shaolin. Il voyagea donc beaucoup. Jusqu’au jour où, loin dans le sud du pays, après un périple de plus d’un millier de kilomètres, il rencontre deux hommes véritablement pas¬sés maîtres dans l’art du Kung-Fu : Pai Yu-feng (ou Pak Yook-fong) et Li Chieng. De l’amitié entre les trois hommes naquit un nouveau Kung-Fu composé de 170 mouvements, répartis en cinq styles, du tigre, du serpent, du léopard, de la grue et du dragon. Chueh Yuan retourna par la suite au Shao-lin et fit profiter les moines de sa nouvelle science. De ce jour, et très rapidement, ceux-ci acquirent une réputation d’invincibilité qui fit connaître Shaolin loin au-delà des frontières du Honan. Ce que lui avait rapporté Chueh Yuan constitua la base de tous les styles dits « externes » de Kung-Fu (Wai Chia) qui allaient être plus largement popularisés que les styles « internes », plus hermétiques.

 

 

SHAOLIN ET LA RESISTANCE AUX MANDCHOUS

 

Au cours des siècles suivants le monastère du Shaolin devint un véritable centre d’entraînement aux arts martiaux, réputé dans la Chine toute entière pour la prouesse de ses experts (le même fait existe dans l’histoire du Japon, où les terribles moines-guerriers du Mont Hiei défiaient jusqu’à la puissance de l’Empereur). Lors de la chute de la dynastie des Ming, en 1644, remplacée jusqu’en 1911 par la dynastie mandchoue Tsing, le Shaolin devint un foyer de résistance à l’oppression mandchoue. Des dizaines de monastères accueillirent, en ces temps troublés, les loyalistes Ming fuyant les persécutions et avides de revanche ; leurs enceintes abritaient alors autant de guerriers déguisés en moines que de moines véritables, et de leur promiscuité naîtra une nouvelle génération de combattants de Kung-Fu, particulièrement efficaces.

A partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, l’expert formé à Shaolin fai¬sait autorité dans le monde des arts martiaux. La légende raconte que, pour être digne du titre d’expert, le postulant devait affronter, à l’issue de longues années d’initiation, un « Couloir de la Mort », véritable labyrinthe creusé dans le roc, parsemé d’embûches et de pièges de toutes sortes : s’il en réchappait, il se marquait lui-même au fer rouge en soulevant à bras le corps une urne de fer brûlante qui imprimait sur ses avant-bras le double sceau prestigieux du Shaolin, le dragon et le tigre [5]. Même l’empereur prit ombrage de tant de puissance et il condamna Shaolin à mort ; dans la première moitié du XVIIe siècle, le célèbre monastère, comme d’autres foyers de résistance à l’autorité mandchoue, fut pris d’assaut par les troupes impériales et finit par succomber sous le nombre après une résistance héroïque ; seuls en réchappèrent cinq moines, experts en Kung-Fu, qui vont populariser leurs techniques dans d’autres couches sociales. Pour la première fois, le Kung-Fu perd sa pureté d’origine (recherche de l’efficacité suprême, à travers l’union corps-esprit, par des pratiques ascétiques) mais gagne en popularité. Les cinq moines seraient à l’origine des cinq grandes méthodes de Kung-Fu : le Hung Gar, le Liu Gar, le Mok Gar, le Li Gar, et le Choy Gar. De nos jours encore de nombreux maîtres d’écoles de Kung-Fu prétendent, à tort ou à raison, faire remonter leur art à la période glorieuse du Shaolin.

 

 

PIAO-SHIH ET WU-HSIAO

 

On connaissait à l’époque de la Chine Impériale une institution appelée Piao-chu, sorte d’agence entraînant et louant des gardes experts en Kung-Fu à des marchands, des petits seigneurs pour leur protection, leurs transports de biens précieux, etc. Ils allaient à pied ou à cheval, équipés d’armes diverses, dont des dards de bois ou de fer, armes mortelles, qu’ils savaient lancer avec adresse. Le chef de ces gardes était de ce fait appelé piao-shih (= maître dans l’usage des dards) ; chaque piao-shih était précédé de son emblème et la seule vue de celui-ci suffisait en général à décourager les fauteurs de troubles. Parfois, privés d’emplois, les piao-shih devinrent des chevaliers errants (wu-hsiao), héros de nombreuses histoires aventureuses plus ou moins légendaires (les Wu hsia hsiao shuo) où les conteurs louaient les vertus de courage, de persévérance, de patience, de loyauté, de ces hommes hors du commun. S’il est vrai qu’au xixe siècle, lorsque cette coutume devint désuète en raison du développement des routes plus sûres et des chemins de fer, de nombreux Piao-shih se firent bandits de grands chemins, il est hors de doute que ces chevaliers experts dans le maniement des armes ont joué un rôle de premier plan dans la diffusion et la survie du Kung-Fu.
LES TEMPS MODERNES

 

 

TUNG HAI-CHUAN ET LE PAKUA

 

Une nouvelle technique de Kung-Fu, le Pakua (« huit diagrammes »), ou Pakua Chang (« la paume des huit diagrammes »), s’individualisa vers le milieu du XIXe siècle. Sa véritable origine est toutefois incertaine. On en attri¬bue généralement la paternité à Tung Hai-chuan, qui aurait tenu les bases de cette technique d’un ermite taoïste vivant sur la montagne Yu Hu Shan. Son nom même est issu du I-Ching, le « Livre des Changements », un classique de la pensée traditionnelle chinoise, résumant les phénomènes de l’univers, et dont il sera question dans le prochain chapitre. Comme le Tai Chi, cette tech¬nique « interne » (Nei Chia) est en corrélation étroite avec la vision taoïste de la Création. Elle se développa au départ dans la région de Pékin. Tung Hai-chuan dut relever un jour un terrible défi lancé par un autre expert célèbre. Kuo Yun-shen, maître dans le style Hsing-I et jaloux de son prestige. On raconte que leur combat dura... trois jours, et que, reconnaissant enfin qu’ils étaient de force égale, les deux experts décidèrent de devenir amis. Il en résulta très vite une interférence du Pakua et du Hsing-I. Chaque expert ensei¬gnant également à ses élèves des éléments de la nouvelle technique, qu’il avait eu l’occasion d’apprécier.

 

 

KUNG-FU ET SOCIÉTÉS SECRÈTES

 

On a vu plus haut que la diaspora des communautés bouddhiques (notamment à Shaolin, mais pas exclusivement) pourchassées par le gouvernement mandchou avait permis aux premières techniques de Kung-Fu de se diffuser au niveau des masses populaires. Deux périodes particulièrement mouve¬mentées de l’histoire chinoise récente vont contribuer bien davantage encore à divulguer l’art martial jusqu’ici réservé à une élite religieuse ou guerrière.

-  La révolte des T’ai P’ing : en 1850 éclate au Sud du Yang Tsé Kiang une formidable révolte de paysans opprimés, habilement menés par des sectes à caractère nationaliste anti-mandchou et farouchement xénophobes. Le chef des T’ai P’ing (secte de la « Grande Pureté »), Hung Hsiu-chuan, fit pendant quinze ans échrec aux troupes impériales grâce à ses hordes fanatisées et sévèrement entraînées, notamment au combat à main nue. Puis la révolte fut noyée dans le sang.

-  La guerre des Boxeurs : la fin des T’ai P’ing ne calma pas les sociétés secrètes rêvant du retour de la dynastie Ming. Notamment la secte du Lotus Blanc et la Triade, furent plus actives que jamais et on les trouve une nouvelle fois dans les coulisses des événements sanglants qui marquèrent l’aube du XXe siècle à Pékin. Au printemps 1900, la société du Yi Ho-chuan (« Les Poings de la Justice et de la Concorde ») prépare le massacre des Blancs résidant alors en Chine, secrètement appuyée par l’Impératrice Tseu Hi elle-même. Ses adeptes fanatisés étaient entraînés au Kung-Fu avec un rituel strict, tout empreint de magie, qui devait les rendre invulnérables même aux balles des fusils étrangers (d’où leur nom de « Boxeurs »). Ils finirent par assiéger les quartiers étrangers de Pékin ; le siège dura 55 jours et les léga¬tions étrangères faillirent être submergées par le nombre, mais furent sauvées « in extremis » par une expédition internationale. De nouvelles sociétés secrètes allaient naître des débris du Yi Ho-chuan. Mais les arts martiaux ne furent plus une préoccupation majeure, le Kung-Fu ayant largement prouvé son infériorité face aux armes modernes. L’échec des Boxeurs faillit être le coup de grâce pour les arts martiaux traditionnels en Chine. Nouveautés et révolutions déferlaient alors sur la Chine tandis que l’engouement ancien pour le Kung-Fu céda la place à l’oubli, voire au mépris.

 

 

DE LA FIN DES MANDCHOUS À LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

 

En 1904 s’ouvrit à Shanghaï la première école d’éducation physique moderne (Chung-Kuo-t’i-ts’ao hsueh-hsiao) sous la direction de Hsu Fu-lin qui avait étudié au Japon, pays qui n’accordait plus non plus alors d’intérêt à ses arts martiaux traditionnels. C’était une gymnastique de type occidental, tout mouvement pouvant rappeler le Kung-Fu étant banni, comme avaient d’ailleurs été dissoutes, lors de la reprise en main du pays par les autorités mandchoues, les académies militaires (wu kuan) réputées trop dangereuses pour le pouvoir.

 

C’est en mars 1909 que se place l’événement décisif pour la renaissan¬ce du Kung-Fu. Un certain O’Brien, athlète européen, lança un défi public à Shanghaï et on se mit à la recherche d’un champion local capable de relever l’honneur chinois entre les quatre cordes d’un ring. De jeunes patriotes se réunirent, très excités à cette idée, et on finit par avancer le nom de Huo Yuan-chia, qui résidait alors dans la province du Hopéi. L’homme avait 53 ans, issu d’une famille experte en arts martiaux, tête de la septième génération des maîtres de l’école Mi Tsung. Il était de taille moyenne mais aussi large que haut et n’avait jamais été défait ; on le connaissait également sous le nom de Chun-Ch’ing ou de Huang Mien-hu, le « tigre chinois ». Pour des raisons d’arbitrage, on dut différer la rencontre jusqu’à la fin juin, puis on s’aperçut que, probablement impressionné par la réputation de son challenger, O’Brien avait disparu... Mais les supporters qui étaient venus de partout ne pouvaient rester sur leur faim et on déclara le challenge libre, ouvert à tous, à condition que les combattants acceptent des règles sportives. Lorsque le premier challenger se présenta, Chao Huo Yuan-chia lui opposa son meilleur élève, Liu Chen-sheng, qui le projeta facilement. Puis se présenta Chang, lui-même instructeur de Kung-Fu, qui défia Huo. Ce fut un combat terrible, mettant aux prises deux colosses de 100 kg ; mais Huo triompha et la journée mémorable se termina par des démonstrations de Kung-Fu devant un public enthousiasmé. C’est alors que les jeunes patriotes chinois comblèrent Huo de cadeaux et le prièrent d’enseigner son art avant qu’il ne soit totalement oublié. Huo accepta et on fonda l’association Ching-wu-ti-ts’ao hsueh-hsiao, par référence à l’école de gymnastique de Hsu Fu-lin (cependant ching-wu réfère au développement de l’esprit martial, nuance fondamentale). C’est donc en 1909, dans la concession étrangère de Shanghaï que s’ouvrit la première école de Kung-Fu au xxe siècle, dirigée par Huo et son élève Liu Cheng-shen. Cela ne dura guère, car Huo eut une fin étrange. Très peu de temps après l’inauguration de son école, Huo dut relever le défi d’un combattant japonais ; il gagna le combat, mais dut s’aliter. On dit que son épuisement était en fait dû à son entraînement trop intensif qui aurait provoqué des lésions internes. Toujours est-il que Huo s’étei¬gnit en août 1909 après avoir été soigné par un médecin... japonais ! On parla d’empoisonnement. Ses élèves le déifièrent, mais sa disparition désorganisa aussitôt son école, minée par des problèmes financiers et administratifs. En mars 1910, l’école déménagea et repartit grâce à une administration plus dynamique confiée à des hommes d’affaires tandis que le côté technique était laissé aux deux meilleurs élèves du maître défunt, Liu Cheng-shen et Chao Han-chieh. Elle prit le nom de Ching-wu-t’i-yu-hui (Association chinoise de Cul¬ture Physique), toute allusion plus précise au Kung-Fu ayant été interdite en raison des troubles politiques qui reprenaient en Chine.

 

Mais la transition était réalisée. Petit à petit, d’autres maîtres sortirent de l’anonymat pour suivre l’exemple de Huo. Entre 1912 et 1927 (prise de pouvoir de Tchang Kai-tchek), la Chine connut à nouveau une longue période de guerres civiles marquées par les atrocités des « seigneurs de la guerre », féodaux locaux incontrôlés par le pouvoir central, quasi inexistant. Une fois encore les sociétés secrètes furent actives et agents et mercenaires de tous bords s’intéressèrent à la pratique utilitaire de la technique martiale. Certaines de ces sociétés, sous des prétextes politiques qui ne résistaient à aucune analyse sérieuse, devinrent de véritables gangs criminels dont les ramifications allaient jusqu’aux États-Unis, à mesure que s’y intensifiait l’immigration chinoise. L’Amérique découvrit le Kung-Fu à l’occasion des guerres de clans (les Tongs) au cours desquelles les groupes chinois s’affrontaient à mort, notamment à Los Angeles et San Francisco. Plus que jamais l’ancienne Triade fut active et on prétend qu’aujourd’hui encore elle impose sa loi à Hong-Kong, Singapour et dans les grandes métropoles américaines.

 

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Kung-Fu était pratiqué dans le cadre de deux associations nationales, l’Institut Central de Boxe Nationale et de Culture Physique, et l’Association de Boxe Chinoise. Mais la révolution chinoise de 1949, et l’établissement de la République Populaire de Chine modifièrent totalement l’image traditionnelle du Kung-Fu. Le Wu Shu (terme oréféré à Kung-Fu) est, depuis, inclus dans la grande fédération nationale de tous les sports ; or, dans ce cadre, on considère que les vieilles formes d’entraînement, ainsi que leur esprit, sont parfaitement dépassées, inadaptées au but visé actuellement par le gouvernement : le Wu Shu doit être considéré comme une culture physique pour tout le peuple, moyen de développement physique et moral de la nation communiste. Le Wu Shu est donc devenu un sport national parfaitement codifié, à but thérapeutique et esthétique et non plus martial. Pour retrouver l’orientation traditionnelle du Kung-Fu, il faut aller à Hong-Kong, à Singapour ou à Taïwan, voire aux États-Unis dans les impor¬tantes colonies chinoises, où de nombreux experts se sont réfugiés après les événements de 1949. Là on aura tout l’embarras du choix entre les styles modernes, plus ou moins fantaisistes, et les styles garantis classiques, remontant à des sources lointaines, et qui restent malgré tout au nombre d’environ 400 !...

 

Rappelons également que de nombreux styles de boxe chinoise passèrent au Japon, accompagnant les itinéraires des premiers moines du bouddhisme Chan (Zen), et qu’ils entrèrent directement dans les composantes du Ju-Jitsu, puis du Judo nippons. A partir du XVe siècle, et jusqu’au XIXe siècle, marchands et pirates chinois exportèrent par ailleurs des éléments techniques dans les îles Ryu-Kyu (Okinawa) et dans le reste de l’Asie du Sud-Est, revivifiant et complétant les méthodes locales comme l’Okinawa-Te, ancêtre du Karaté, le Pentjak Silat indonésien, le Kuntow, etc.

 

 

[1] Avec l’aimable autorisation de l’auteur, R. Habersetzer, de l’éditeur : Editions Amphora, 14 rue de l’Odéon, 75006 Paris, et du CRB.

 

[2] Les développements historiques concernant l’apparition, la maturation et le développement du Kung-Fu en Chine, ont été décrits par R. Habersetzer dans son ouvrage « Kung-Fu, l’épopée de la Main de Fer » (Éditions Amphora), épuisé. On pourra cependant compléter la lecture des pages de ce chapitre par celle du chapitre « L’épopée de la Main de Fer » contenu dans « Découvrir le Kung-Fu » de R. Habersetzer aux Éditions Amphora (Collection « Budoscope »).

 

[3] Voir détails dans l’ouvrage "Chi Kung" de R. Habersetzer aux Editions Amphora.

 

[4] Voir les détails de l’histoire de Shaolin, « premier monastère sous le Ciel » dans « Découvrir le Kung-Fu » de R. Habersetzer aux Éditions Amphora.

 

[5] Cette célèbre légende est le thème du roman « Le Couloir de la Mort », dans la série « Maître de Shaolin », publié par R. Habersetzer aux Éditions du Bastberg (Collection « Le Ronin, Souffles d’Orient »).

 

 

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